Dans l'Eldoret, province à l'Ouest du Kenya, l'équipe d'Action for Life a été trois jours durant le témoin d'une initiative remarquable. Elle a rencontré la petite communauté de la Vallée de Sosiana, juste à la sortie de l'autoroute polluée qui serpente dans la campagne Kenyane.
Notre matatu (minibus) nous a emmenés aussi loin qu’il pouvait sur un chemin de terre bosselé. Nous avons ensuite arpenté un étroit sentier empierré. Lorsque nous avons demandé le nom de la vallée, on nous a répondu "Chepkaitit" : c’est l’une des milliers de vallées qui composent la grande vallée africaine du Rift. Mais, pour nos interlocuteurs, c’était toujours "la vallée oubliée". Notre guide, Andrew Kipkorir, s’est arrêté pour nous donner quelques explications, à l'ombre d'un arbre: « Dans cette vallée oubliée, les seuls documents qui existent sont les certificats de naissance ou de mariage. La plupart des gens ici étaient des ivrognes, des voleurs ou des drogués. Le député local (un ministre important du gouvernement Kényan) vit à seulement 20 minutes d'ici. Mais il n’est jamais venu dans notre vallée. Il n'y a pas de courant, ni de camions qui passent. »
Notre guide, Andrew Kipkorir, s’est arrêté pour nous donner quelques explications, à l'ombre d'un arbre: « Dans cette vallée oubliée, les seuls documents qui existent sont les certificats de naissance ou de mariage. La plupart des gens ici étaient des ivrognes, des voleurs ou des drogués. Le député local (un ministre important du gouvernement Kényan) vit à seulement 20 minutes d'ici. Mais il n’est jamais venu dans notre vallée. Il n'y a pas de courant, ni de camions qui passent. »
Vingt minutes plus tard, nous étions au milieu de grandes étendues vertes de jardins potagers très bien entretenus. Des hommes et des femmes y travaillaient en équipe, affairés aux travaux du sol ou à la récolte. Nous étions témoins d'un miracle vert en cours.
Premier et seul enfant des 200 familles de la vallée à suivre des études (diplôme d'économie à l'université de Kenyatta), Andrew a décidé d'utiliser sa "célébrité" pour stimuler le changement dans la vallée. Trois jeunes d’Initiatives et Changement, venus quelques jours dans la vallée en 2005, l’ont inspiré. Le nom lui a plu et il l’applique joyeusement à tous leurs projets. « Nous avons utilisé ce nom Initiatives pour le Changement pour restaurer notre société », a-t-il déclaré fièrement. Il a depuis déclaré les différentes initiatives sous des noms de la langue locale Kalenjin. A partir du site internet d'I&C, il a construit son vaste programme :
- Créer la paix et la confiance
- Transformer la société et la culture
- Construire une économie durable
- Formation et renforcement des capacités
Son mouvement a démarré avec les femmes que le besoin désespéré de nourriture pour leurs nombreux enfants avait conduites à la fabrication d’alcool. Les jeunes et les hommes étaient leurs principaux clients, attirés par des prix bon marché. Andrew nous a expliqué qu'à midi, beaucoup se retrouvaient à même le sol, saouls. Dans une salle de classe, quelques-unes ont chanté et dansé pour nous, nous présentant des calebasses décorées (gourdes utilisées pour conserver le lait). « Les femmes ici sont l'extrémité oubliée de cette vallée oubliée », a déclaré l'une d'entre elles, faisant allusion aux violences conjugales qu’elles endurent. « Mais maintenant, vous allez voir ce que nous, femmes, nous ferons pour les hommes. Quand vous repartirez, s'il vous plaît, ne nous oubliez pas ! »
« Nous sommes toutes veuves ou mères célibataires, confrontées au rejet. Nous brassions de la bière juste pour assurer la nourriture à nos enfants. Nous avons lancé un groupe : "initier le changement", pour élever de la volaille. Nous développons une pépinière. Maintenant nous voulons acheter une vache pour vendre du lait à l'école. »
Les hommes qui achetaient leur alcool généraient de hauts niveaux de violence domestique. « Lorsque les gens sont désœuvrés, la société n'est pas en paix. Sans travail, nous ne pouvons pas stopper les dépendances - ils ne peuvent pas contrôler leurs émotions, donc ils causent beaucoup de violence conjugale. Si nous ne parlons que de paix sans leur donner un levier économique grâce au travail, qu'auront-ils à manger? » a demandé Andrew.
« Nous avons les ressources. Regardez ces terres », a-t-il continué, balayant la vallée de la main. « Nous devons arrêter cette culture de la mendicité en Afrique. Nous ne sommes pas des mendiants. Nous pouvons combattre la pauvreté, au lieu de mendier. Travailler est plus fructueux qu’écrire des projets. Lorsque les hommes travaillent, ils arrêtent de mendier ou de braconner. » Lorsqu'il a présenté notre groupe d’Action for Life à la population locale, il les a avertis : « Ce n'est pas un agence de don. »
Sous la direction d'Andrew, les hommes ont commencé à creuser des canaux d'irrigation à partir d'un marais en haut de la vallée, créant ainsi une importante zone fertile, où désormais des douzaines de lopins de terre fournissent du travail et une production. La population locale travaille en équipe de 10 ou plus, partageant le travail et les revenus. Il y a eu des échecs et des disputes, surtout pour l'eau. Mais la vie, l'énergie et la fierté sont là. Ses initiatives ont attiré la jalousie et l'hostilité des intérêts politiques locaux, mais il tient bon. « Nos enfants sont maintenant à l'école - pas comme avant », a déclaré un homme venu nous rencontrer sous un arbre. « Nous avons besoin d'une pompe pour acheminer l'eau. Nous sommes confrontés à quelques défis : personne n'est employé par le gouvernement ou par une entreprise, donc nous ne pouvons pas obtenir de capital. Et nous manquons de compétences. » Un conseiller agricole a aidé pour la culture de haricots à rames; mais les prix du marché se sont effondrés et les gens ont perdu l'équivalent d'une récolte. Dorénavant, ils s'en tiennent donc à une seule culture : le chou frisé. Andrew ne sent pas qu'il ne peut pas les pousser à se diversifier, en tout cas pour l’instant.
Un grand changement est intervenu après les violences qui ont suivi les élections de 2007 dans l'Eldoret et les régions voisines. « J’étais mal à l’aise de voir qu'à l'époque, les gens du village marchaient 50kms pour participer au pillage, ramenant des téléviseurs et même des portes et des fenêtres », a déclaré Andrew. « Nous nous sommes assis pour parler de ce que nous devrions faire ». Ils se sont mis d'accord sur des objectifs et des projets spécifiques :
- Développer l’alphabétisation : avoir un enfant par famille allant à l’école d'ici 2012
- Assurer l'indépendance économique en sécurisant la production alimentaire et l'emploi des jeunes
- Limiter les violences conjugales et le recours aux drogues dans la vallée.
10 projets ont ainsi démarré. Les commerces en bordure d'autoroute étaient tenus par des bacheliers de la région. Touchés par la violence, ils ont formé un groupe qui, en gros, s’appelle "aimez-vous les uns les autres" (assez inattendu pour ces hommes rustres et endurcis). Ils souhaitent embaucher des jeunes locaux et veulent maintenant construire une école sur un terrain offert par l'un d'entre eux.
Un autre groupe de jeunes, accompagné par un instituteur, a commencé à cultiver des fruits de la passion. Pas loin, une coopérative florissante se développe avec 40 familles d'agriculteurs, produisant des fruits de la passion dans une serre, des champignons et du lait de qualité. Avec 1200 litres produits chaque jour, ils envisagent, avec un contrat en cours de finalisation, de mettre en place une unité de réfrigération pour le lait.
L'école primaire locale était similaire à bien d’autres en milieu rural : bâtiments simples en béton nu, fenêtres sans vitres, bancs durs en bois...et manque criant d'eau. Nous avons remarqué l'absence de gouttières sur les toits. Les instituteurs ont besoin d’argent et de nouvelles classes (plusieurs sont en construction). Le professeur qui animait notre réunion semblait fatigué (après 20 ans d’efforts).
A la fin, il s’est arrêté de ressasser la liste des problèmes, nous a souri chaleureusement, et a déclaré qu'il acceptait notre message de changement. Andrew nous a bien confirmé que les enseignants sont la clé de voute des changements dans la vallée.
Notre visite nous a mieux fait comprendre le concept de changement : la composante de la responsabilisation morale et spirituelle en plus de la dimension économique, le rôle de l’écoute intérieure et de la réflexion profonde à côté des nombreuses prières d'un peuple très religieux. Un message transmis par un des parents qui avait assisté à notre présentation a enthousiasmé Andrew : « J'ai écouté ma voix intérieure ce matin », a-t-il dit. « Dieu m'a clairement demandé de trouver une pioche pour ma famille. C'était incroyable.» Cela encourage Andrew : les gens n'ont pas besoin qu'on leur dise quoi faire, ils peuvent le découvrir par eux-mêmes !
Avant de partir, nous avons causé avec des bacheliers, puis nous nous sommes assis en silence, à l’écoute de la direction divine pour l’avenir. Titus Betts (dont la famille Kalenjin nous a accueillis à l’Est de l'Eldoret) a simplement partagé sa vision : « Dans ce moment de silence, je voyais mon pays libéré et contribuant à un monde libéré. C'était un avenir avec un leadership exempt de tout reproche et pris en main par une jeunesse assumant ses responsabilités - des gens libres et capables de connaitre leurs droits, prendre des décisions et trouver leur propre source d’énergie. Cette jeune génération sera transformée en cours de chemin : recherche en profondeur de ce qui est juste pour chacun et de la route pour un Kenya libre. »
(Traduction : O Divoux et C Bourdin)