19 – 24 février 2017 – Gérard Barbé, Dominique Emeriau et Claude Bourdin
Pause café et gateaux après la visite de la ferme porcine de Wilhelm et Barbara Mues
L’idée générale souvent exprimée en France sur les agriculteurs allemands est qu’ils bénéficient de conditions favorables (réglementation, prix, aides publiques, coût du travail salarié). Le but du voyage était de découvrir la réalité des agriculteurs allemands sur toutes ces questions et de faire connaissance.
Ceux que nous avons rencontrés (voir liste en fin de document) sont en majorité heureux, ils travaillent beaucoup, ils sont inquiets pour l’avenir, ils font face aux difficultés de façon réaliste et individuelle, sans tomber dans les critiques négatives et la frustration mais bien conscient des enjeux économiques qu’ils affrontent.
Nous avons vu des fermes familiales de taille moyenne – nous n’avons pas vu de grandes fermes comme en Allemagne orientale avec des élevages de milliers de bovins. Deux des fermes visitées étaient en bio.
Voici le résumé de nos impressions globales, après les visites et les longs échanges que nous avons eus avec nos collègues allemands :
- ls travaillent beaucoup – Peu ou pas de vacances – Auto-construction (maison ou bâtiment) parfois
- Fonctionnement financier différent de chez nous, mais ne semblant pas bénéficier d’avantages supérieurs : mêmes aides européennes, prix de vente analogues,
- Nous avons pris note de l’harmonisation en cours du niveau de rémunération du travail salarié (instauration d’un salaire minimum : 8,50 € par heure plus 2,50 € de charges patronales). Mais les exploitations visitées étaient peu concernées par le travail salarié.
Ludger Strotdrees, un agriculteur bio, en discussion avec Gérard et Dominique
- Le Foncier :
- Prix du foncier exorbitant, en achat (entre 50 000 et 100 000 € par ha) ou en location (de 700 à 1000 € /ha)..
- o Un agriculteur (l’ainé en général) hérite de la ferme des parents, (la compensation pour les frères et sœurs fait l’objet d’un accord en famille), charge à lui de s’occuper de ses parents (logement et frais afférents).
- o Les retraites agricoles sont relativement modestes (entre 400 et 600 € par mois).
- La pression urbaine, les productions maraichères ou spécifiques (asperges, biogaz alimenté par des cultures, besoin de surface d’épandage de lisier …) et la concurrence entre agriculteurs sont des facteurs de hausse pour le foncier.
- o Tous reconnaissent qu’un jeune non issu de famille agricole n’a pas de chance pour se lancer dans l’agriculture.
- Fonctionnement des fermes :
- o Le travail en entraide ou associatif (type GAEC) est souvent regardé comme irréaliste, même si quelques cas d’entraide existent tout de même (chantier d’ensilage dans un cas, tonne à lisier en commun dans un groupe d’une quarantaine d’agriculteurs).
- o Par conséquent, le niveau d’équipement est assez élevé et moderne sur les exploitations : cela nous est apparu parfois presque comme du suréquipement ! C’est vrai que dans un cas, cette constatation allait de pair avec des bâtiments très vétustes et peu fonctionnels (pas de salle de traite par exemple avec un troupeau de 54 VL).
Stephan Wohlfrom, jeune agriculteur, et Hans Wörle, notre accompagnateur en Bavière, devant le troupeau laitier
- Les agriculteurs dans leur environnement :
- o Plusieurs des agriculteurs rencontrés ont clairement exprimé le fait qu’ils étaient « heureux ». Bien sûr ils ont aussi dit que cela serait mieux si les revenus étaient meilleurs. Les deux agriculteurs bio semblaient avoir des revenus moins affectés par les problèmes économiques.
- Un agriculteur, pourtant, a fortement dit que c’était mieux il y a 10 ans et il se prépare déjà à stopper son activité agricole (arrêt du lait l’an passé, arrêt des vaches allaitantes à suivre et développement d’une activité extérieure parallèle). Il ne souhaite pas encourager ses enfants à continuer l’agriculture ! Pour lui, seuls pourront se développer les grandes exploitations ou les petits agriculteurs « bien organisés ». Il a pris cette orientation pour ne pas tomber dans une situation de désespoir.
- o Il semble que comme en France, les transformateurs et distributeurs soient les maîtres du jeu économique et imposent des conditions toujours à la baisse.
- o La pratique syndicale et les manifestations ne rentrent pas dans leur schéma de fonctionnement, même si cela arrive parfois. Cela ne veut pas dire qu’ils considèrent que c’est inutile et inapproprié, mais le manque de temps et la crainte des conséquences limitent la mobilisation.
- o Un agriculteur pense que le gouvernement soutient mieux les agriculteurs français qu’en Allemagne.
- La visite d’une importante unité de méthanisation, fonctionnant à 100% avec des cultures (maïs, céréales et herbe) conduit à 2 réflexions principales :
- o Les subventions pour ce type de production énergétique permettent un revenu à l’hectare supérieur.
- o Mais cela signifie que les surfaces n’ont plus de vocation à production alimentaire. Ce projet a aussi engendré une pression foncière accrue pour les agriculteurs alentour.
Gérard et Dominique avec nos hôtes bavarois devant le silo qui approvisionne l’unité de méthanisation
En conclusion, il nous semble qu’il y a un niveau insuffisant de contacts et de connaissance réciproque entre les agriculteurs des différents pays, malgré les organisations professionnelles (COPA, CEJA …). La perception des évolutions agricoles dans un pays est souvent différente de ce que les agriculteurs eux-mêmes ressentent et vivent au quotidien.
On peut regretter que l’application des mesures européennes soit différenciée selon chaque pays, créant des distorsions (par exemple, la réduction des quotas il y a quelques années non mise en place de façon uniforme selon les pays, avec les différences de volume de production qui ont suivi). La suppression des quotas a aggravé les risques de surproduction et les différences pour les agriculteurs.
Peut-on rêver d’une organisation professionnelle mondiale des agriculteurs qui réfléchisse à la façon de:
- garantir la stabilité aux agriculteurs,
- leur permettre de fournir à l’humanité une alimentation de qualité, en particulier dans les pays pauvres ?
Cette organisation devrait être basée sur les échanges entre agriculteurs ! Elle pourrait être une force de proposition face aux autorités, plutôt que de rester dans la contestation et la critique, à l’intérieur du pays ou contre les autres pays. Le risque de l’engagement syndical n’est-il pas de constamment regarder ce qui ne va pas ?
Plusieurs agriculteurs ont mentionné leur attachement à la dynamique européenne et certains étaient très heureux d’accueillir chez eux des agriculteurs français, en signe d’une relation à encourager pour construire la paix.
Nous avons été impressionnés par le jeune agriculteur sur la ferme laitière : une expérience internationale suite à ses stages agricoles à l’étranger, beaucoup de réalisme et de sagesse, par exemple face à la question : que faire si les prix continuent de baisser ? Sa réflexion a été d’abord de trouver les solutions techniques et pratiques pour faire face, en attendant une amélioration. « Mieux vaut bien s’occuper de 100 vaches plutôt que mal faire le travail avec 1000 ». Mais cela n’empêchait pas une bonne conscience de la réalité des enjeux économiques européens et mondiaux.
Nos impressions après ce voyage sont sûrement partielles : vos réactions et commentaires sont bienvenus !
Gérard Barbé, agriculteur en Lorraine Dominique Emeriau, agriculteur en Anjou
Claude Bourdin, coordinateur du DEA International
Le neveu de Gérard en discussion avec lui et Dominique avant notre départ pour l'Allemagne
- Bioland-Hof Strotdrees (Ludger et Stephanie) : Ferme bio avec 70 ha, 40 VL, volaille et porcs à l’engrais – Magasin vente directe en lien avec Bioland – M. et Mme + 2 apprentis sur la ferme – 3 autres au magasin
- Wilhelm et Barbara Mues : 125 ha (dont 25 loués) – 100 truies – Production d’énergie photovoltaïque – commerce de paille – Agriculteur et épouse seuls sur la ferme – Bâtiments construits par eux-mêmes
- Klaus Strotman : 70 ha (dont 20 loués) – VL jusqu’à l’an passé – 70 vaches allaitantes (arrêt programmé) – engraissement de porcs (3000 par an) – pas de succession
- Hermann et Beate Wittkamp : 64 ha (50 loués) – 54 VL (traite en étable de 12 places) – Succession possible (fils) après départ pour retraite
Agriculteurs visités en Bavière (23 février)
- Unité de méthanisation basée sur 900 ha de productions végétales (maïs, céréales et herbe), dont 400 appartenant aux 5 agriculteurs associés propriétaires du site.
- Stefan Wohlfrom : mi-temps avec ses parents Paul et Claudia (et un apprenti): 100 ha (la moitié en location) – 100 VL à 9000 l
Alfons Diethei : 41 ha (dont 22 loués) – Production bio – bovins à l’engrais – développement de cultures spécialisées (soja, betteraves rouges, lupin)